Durée : 15 min – création le 27 avril 2018 sous la baguette de Titus Engel –

Commande de l’orchestre de la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern.

Le titre est inspiré des mots Neo et Polis du grec ancien

Neo : nouveau

Polis : la ville.

La genèse

Paris 2015

Depuis que j’ai commencé à écrire de la musique, la captation de sons du quotidien m’accompagne. Je saisis des mouvements, des ambiances, des moments de vie, que j’isole avant de les retravailler en studio. Je prends aujourd’hui la mesure de leur influence sur mon univers sonore, et c’est de cette prise de conscience qu’est née l’idée d’écrire Neopolis.

J’ai enregistré pendant plusieurs mois des trajets de métro à Paris. En faisant passer ces pistes par plusieurs filtres et sous différentes configurations, je me rapprochais de mes intentions orchestrales. L’aspect horizontal comme la dynamique, aussi bien que l’aspect vertical comme les textures, se dévoilaient avec évidence dans ces enregistrements transformés (l’un d’eux sert également à placer le décor sonore de l’installation Surface de 2016). Ma recherche musicale prenait finalement corps sous la forme d’une traduction des sonorités du quotidien.

En cela, l’intention première de Neopolis se rapproche de celle de la partition figurative Les cris de Paris de Clément Janequin. Moins j’invente et je stylise, plus j’approche le résultat recherché. Contrairement au travail d’Edgard Varèse sur Le Sacre du Printemps dans Amériques, ou à la technique de collage de citations utilisée par Luciano Berio dans le 3e mouvement de sa Sinfonia, mon point de départ est extra-musical et s’éloigne des œuvres qui ont déjà été créées pour se concentrer sur la matière brute et l’énergie des situations quotidiennes.

De ce point de départ est également née l’idée de développer une sémantique orchestrale originale dans laquelle le style et l’écriture peuvent varier aussi radicalement que l’environnement perçu et reflété.

L’allégorie

Paris 2015

Neopolis est le portrait musical d’une mégalopole utopique. Une succession de courts mouvements orchestraux esquisse les traits d’une capitale imaginaire. Le narrateur (le jeune Niemana) évolue à travers les rues, les ambiances et les sonorités de cette cité, se nourrissant de l’énergie qui se dégage de la rencontre entre les multiples cultures qu’elle réunit. Il observe l’architecture singulière et l’urbanisme biomimétique de cette cité et laisse toutes ces influences résonner en lui.

En tant qu’observateur extérieur, il construit et déconstruit sa propre identité culturelle au gré de ses perceptions et de ses réflexions systématiques sur ce qui l’entoure.

L’incessante transformation du monde intérieur de Niemana est au cœur de ce travail orchestral et se reflète dans les processus de composition utilisés. Une dualité se dessine entre l’instinct qui perçoit les choses brutalement, et l’intellect qui les remet simultanément en perspective.

L’acte créatif et artistique est un acte qui s’inscrit toujours, selon moi, dans son environnement et dans sa contemporanéité. Ma démarche doit être ici à l’opposé de l’idée de collage, mais une articulation instinctive d’un matériau sonore original.

Une photo ou un film témoigne d’un instant. Un texte le peut également. Mais par le choix des mots et le choix de l’angle ou de la prise de vue, on en donnera toujours une certaine vision, aussi objective et factuelle soit elle, avec un certain degré de subjectivité. J’ai pris conscience que tout matériau sonore pouvait se mouvoir tel un corps à même de réagir aux moindres évènements affectant son environnement. Tout ceci, si la logique intrinsèque qui rend la masse sonore définissable en tant qu’élément est perceptible de façon analytique ou instinctive.

L’idée était donc de définir le matériau comme une entité qui, tel un individu, est en mouvement et interagit avec son entourage.

Le monde intérieur du narrateur qui évolue au milieu des paysages sonores de Neopolis n’est pas représenté par un instrument ou un groupe d’instruments, comme l’alto dans l’Harold en Italie de Hector Berlioz, mais par l’incessante transformation du matériau dont il dispose.

Une symphonie

Cette symphonie est la synthèse d’un premier travail sur la matière orchestrale qui s’est étendu de 2015 à sa réalisation en 2018.

Il s’agit de quatre mouvements principaux très brefs, d’une durée totale de 15 minutes, aux caractères différents et introduits respectivement par une formule « architecturale » d’un tempo très lent ouvrant l’espace en évoquant les tours magistrales à l’entrée de la cité Neopolis :


1er Mouvement (2017 – Tahiti)

L’élémentaire

Dans ce mouvement, ma recherche a consisté à définir une articulation en motifs, que j’appelle des motifs structurels. Ces motifs ont pour caractéristique majeure de s’étendre sur un long espace temps et d’influer ainsi sur la structure et le déploiement de la forme.

L’idée était de représenter le mouvement universel des masses énergétiques primaires (vent/air/eau) en créant un effet de perspective autour d’un point de fuite. Représenter ainsi ce qui pourrait être un mouvement commun à tous les éléments, toutes les espèces et toutes les cultures. Une proposition allégorique pour l’entrée dans la cité Neopolis, à l’organisation et l’architecture biomimétiques, et aux allures de forêt.

Un motif général (GM) doublé en canon s’articule et se déploie en spirale selon les proportions de la suite de Fibonacci, multipliant le tempo par 2 à chaque fin de cycle.

2e Mouvement   (2017 – Sarrebruck)

Le jeu

Au mois de juillet 2017, je séjournais dans ma ville natale à Sarrebruck et passais du temps en famille avec les enfants. J’y composais le 2e mouvement de Neopolis, à l’allure d’un scherzo.

Un thème aux apparences classique fait son apparition et se déploie pour le temps d’un mouvement, évoquant le jeu et la joie éprouvée par le narrateur à la vue d’un moment de fête :

3e mouvement   (2015 – Paris)

Ce mouvement est à la base de mon intention d’écriture.

J’ai composé les premières esquisses de Neopolis à Paris, entre janvier et mars 2015. L’idée d’une cohabitation paisible de cultures antagoniques est au centre de mon premier élan créatif.

Dans ces premières esquisses, je recherchais une écriture d’une expressivité extrême dans le geste, tout en gardant une dimension texturale dans son ensemble.

Une texture en mouvement, un foisonnement, un fourmillement pour user de la métaphore de la fourmilière, qui de loin ressemble à un tas de terre quelconque et qui au fur et à mesure que l’on s’en rapproche passe de l’aspect d’une masse homogène à une multitude d’éléments hétérogènes, individuels, en mouvements, d’apparence chaotique et qui au bout d’une ultime analyse laissent paraître une logique et une organisation intrinsèque.

4e Mouvement (Tahiti – 2017)

Dans ce mouvement se reflète la virtuosité et l’expressivité d’un presto, qui évoque la densité d’une foule mue par une force, une masse à l’apparence unie mais également divisible en de multiples individus.

Sur l’électronique

Ce travail est à la base du projet de recherche Essentia qui a pour vocation le développement d’un instrument digital de traitement et de création de musique électronique/algorithmique en temps réel.

Un patch Max-MSP est contrôlé depuis un clavier midi par un(e) instrumentiste claviériste. Il/elle allume et éteint avec sa main gauche des micros placés dans l’orchestre et sur certains instruments.


Avec sa main droite, il/elle déclenche les comportements de traitement et de spatialisation du son en temps réel selon les indications (modules) de la partition.

Pour exemple le subpatch de la spatialisation rythmique du module 2. Micro du triangle lors de la 2e partie du 1er mouvement